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Document Details : Title: Une étape maritime de la route de la soie Subtitle: La partie méridionale de l'isthme de Kra au IXe siècle Author(s): JACQ-HERGOUALC'H, M. , SUPAJANYA, T. , KRISANAPOL, W. Journal: Journal Asiatique Volume: 286 Issue: 1 Date: 1998 Pages: 235-320 DOI: 10.2143/JA.286.1.556508 Abstract : L'isthme de Kra est cette partie très étroite de la péninsule Malaise (latitude de 10 à 11°) où la distance entre le golfe de Thaïlande et celui du Bengale est à son minimum (50 à 60 km). En dépit des facilités supposées de son franchissement, cet isthme n'a pas suscité la création d'entités politiques de type indianisé. Celles-ci ne sont apparues que dans sa partie méridionale, plus particulièrement autour de la baie de Bandon sur la côte orientale (latitude de 9°) qui bénéficia de l'existence de plaines littorales et donc d'une population en nombre significatif dont l'évolution socio-politique et religieuse fut précoce. Une cité-état gagnée à l'indianisation y apparut très tôt (IIIe s.?), le Panpan, dont les chroniques chinoises font état avec quelques détails. Toutefois, ses vestiges archéologiques les plus anciens ne peuvent être datés avant le début du Ve siècle. Au-delà, leur nombre s'accroît et, rapprochés des renseignements fournis par les Chinois, permettent d'imaginer un petit royaume très ouvert sur le monde extérieur et perméable, dès le IVe siècle au moins, aux grands thèmes de la civilisation indienne au travers des enseignements de l'hindouisme et du bouddhisme. La pratique conjointe de ces deux grandes religions est attestée par la découverte d'un mobilier cultuel abondant qui concernait aussi bien les adeptes de Viṣṇu et de Śiva que ceux des deux grandes tendances du bouddhisme, theravāda et mahāyāna, cette dernière y étant présente dès la fin du VIe siècle. La côte ouest, moins douée géographiquement, donc moins peuplée, conservera tout au long de son histoire ancienne une organisation en chefferies animistes tolérantes à l'égard des commerçants étrangers qui l'accostaient et s'y installaient temporairement en laissant derrière eux, notamment, certains vestiges indianisés. En dépit de ces contacts commerciaux anciens, il faut attendre le IXe siècle pour qu'apparaissent deux sites de ports-entrepôts majeurs dont les vestiges mettent l'accent sur l'importance du commerce au long cours dans la prospérité de la région: Laem Pho sur la côte est et Ko Kho Khao sur la côte ouest. Là, les quantités considérables de tessons de céramique chinoise (principalement de Chine du sud), de vaisselle de verre brisée moyen-orientale et de faïence de même origine ne permettent plus de douter que cette partie méridionale de l'isthme de Kra, avec d'autres sites côtiers de la péninsule Malaise, s'inscrivait dans le contexte d'échanges internationaux de grande envergure qui impliquaient la participation de la Chine, du Moyen-Orient et bien sûr du sous-continent indien et de tous les mondes adjacents des mers du Sud déjà gagnés par l'indianisation. Pourquoi le IXe siècle? Les réponses à cette question semblent pouvoir être déduites de l'analyse de la situation politique de l'Asie à cette époque. Au Moyen-Orient, la nouvelle dynastie des Abbassides installe sa capitale, Bagdad, en Mésopotamie, à proximité du golfe Persique, porte ouverte vers les mers de l'Asie des moussons, tandis que les parties orientales de l'empire, tournées vers l'intérieur du continent, font rapidement sécession. La Chine du sud, de son côté, poursuit sous les Tang un essor déjà bien amorcé après la chute des Han sous les dynasties méridionales, et cela d'autant plus que la Chine du nord est en proie à des troubles graves et que la route traditionnelle du commerce par l'Asie centrale, la fameuse route de la soie, se trouve alors perturbée par les menées tibétaines. C'est assez, semble-t-il, pour que la navigation vers l'Asie des moussons ait pris un essor irrépressible qui ne se démentira plus, entraînant des bouleversements économiques et politiques dans le domaine des mers du Sud. Ce IXe siècle va y voir croître la puissance de la thalassocratie de Śrīvijaya, installée initialement à Palembang (Sumatra), dont le domaine d'influence va alors concerner toutes les cités-états de quelque importance de la péninsule Malaise, y compris la région méridionale de l'isthme de Kra. Par ailleurs, l'activité politicocommerciale accrue de cet empire impliqua des liens avec ses voisins de l'Asie des moussons concernés à des degrés divers par ces échanges: les Śailendras de Java central, les Pālas de l'Inde du nord-est, les dynasties de l'Inde du sud et du Śrī Laṅkā, parmi lesquelles les Pallavas jouèrent un incontestable rôle moteur en s'intégrant sans peine dans ce réseau d'échanges (leur présence est bien attestée sous la forme d'une guilde de marchands à Ko Kho Khao au IXe siècle). Ces contacts multiples sont donc à l'origine de la prospérité commerciale indéniable que connaît la partie méridionale de l'isthme de Kra au IXe siècle; ils ont également concouru à la création durant ce siècle d'œuvres religieuses importantes relevant principalement du bouddhisme — temples, mobilier cultuel — sur lesquelles les influences artistiques les plus complexes peuvent être discernées. Dans un tel contexte, il n'y a pas lieu d'en être surpris. A stopping point along the maritime Silk Road. The southern part of the Kra Isthmus during the 9th century. The Kra Isthmus is the very narrow part of the Malay Peninsula (latitude 10 to 11°) where the distance between the Gulf of Thailand and the Bay of Bengal is at its minimum (50 to 60 km). Despite these supposed facilities for crossing, this isthmus did not determine the creation of indianized political entities. They only appeared on its southern part, more particularly around the Bay of Bandon on the east coast (latitude 9°) which possessed coastal plains and therefore a significant number of people whose socio-political and religious evolution was precocious. An indianized city-state appeared there very early (3rd century?), named Panpan, mentioned in Chinese texts with some details. Nevertheless, its most ancient archeological remains cannot be dated before the beginning of the 5th century. Furthermore, their increasing numbers, put together with informations given by the Chinese, make it possible to imagine a small kingdom very open to the outside and very receptive, at least as early as the 4th century, to the main ideas of the Indian civilization through the teaching of Hinduism and Buddhism. The practice of these two religions at the same time is supported by the discovery of numerous religious artefacts which concern the Viṣṇu or Śiva followers as well as those of the two great schools of Buddhism, theravāda and mahāyāna, the latter being in existence as early as the end of the 6th century. The west coast, less favoured geographically and so less populated, kept through out its ancient history an organization of animist chiefdoms, tolerant to the foreign traders who landed and stayed there temporalily and more notably left behind some indianized artefacts. In spite of these ancient commercial contacts, we must wait until the 9th century for the appearance of two major entrepôt ports whose remains stress the importance of long distance trade in the prosperity of the region: Laem Pho on the east coast and Ko Kho Khao on the west coast. There, large quantities of Chinese ceramics sherds (mostly from South China), and broken glass vessels from the Middle East as well as wares of the same origin, make it impossible to doubt that the southern part of the Kra Isthmus, with some other coastal sites of the Malay Peninsula, was part of a long distance network of international exchange which included participation of China, the Middle East and, of course, India and all the adjacent kingdoms in the South Seas already indianized. Why the 9th century? It seems that the answer to this question can be deduced from the analysis of the political situation of Asia at that time. In the Middle East, the Abbassid dynasty placed its new capital, Baghdad, in Mesopotamia, close to the Persian Gulf, the open door to the seas of Monsoon Asia, while the east part of the Muslim Empire, turned towards the inner continent, quickly seceded. South China, for its part, continued an expansion under the Tang dynasty which had been started under the southern dynasties after the fall of the Han. This expansion came about all the more so since North China was being tormented by serious troubles and the traditionnal trading road through Central Asia, the famous Silk Road, was at the time disturbed by military activities of the Tibetans. It seems it was enough for the navigation to Monsoon Asia to take an unrestricted expansion which had never stopped, causing economic and political upheavals in the area of the South Seas. This 9th century witnessed the growth of the power of Śrīvijaya thalassocracy, initially settled at Palembang (Sumatra), whose area of influence at that time concerned all the city-states of some importance in the Malay Peninsula, including the southern part of the Kra Isthmus itself. Furthermore, the increasing politico-commercial activity of this empire led to links with its neighbours in Monsoon Asia concerned in different degrees by these exchanges: the Śailendra at Central Java, the Pāla in North-East India, the dynasties of South India and Śrī Laṅkā, among them the Pallava played an indisputable active role by integrating the trading network with no effort (their presence is well testified by the existence of a merchant guild at Ko Kho Khao during the 9th century). These multiple contacts were therefore at the origin of the true commercial prosperity in the southern part of the Kra Isthmus during the 9th century. They also contributed to the appearance, at the same time, of important religious creations mostly linked to Buddhism — temples, statues etc — from which the most complex artistic influences can be discerned. In such a context, there are no reasons to be surprised. |
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