this issue
previous article in this issuenext article in this issue

Document Details :

Title: Au croisement du genre et du nombre
Subtitle: De «neutre» latin au «féminin» roman
Author(s): DE CARVALHO, Paulo
Journal: Bulletin de la Société de Linguistique de Paris
Volume: 108    Issue: 1   Date: 2013   
Pages: 243-271
DOI: 10.2143/BSL.108.1.3019218

Abstract :
Il semble irrémédiablement entendu que, s’il fallait reconnaître un fondement, ou un contenu, ou encore un apport sémantique, au genre grammatical, ce fondement, contenu ou apport ne saurait être qu’une référence directe et immédiate — non médiatisée — à cette caractéristique physique élémentaire des êtres animés, et, singulièrement, parmi ceux-ci, de l’espèce humaine, qui est d’avoir un sexe. D’où la persistance d’une terminologie à ce point invétérée qu’il semble, à en juger par certaines réactions, presque scandaleux de la questionner: «masculin», «féminin», et, accessoirement, «neutre», c’est-à-dire 'ni l’un ni l’autre' — tout ce qui ne s’y laisse point réduire étant immédiatement déclaré arbitraire voire illogique. Il n’est pas étonnant, dans ces conditions, que l’on ne se soit guère, à quelques notables exceptions près (p. ex. Friedrich DIEZ), interrogé sérieusement sur le problème qui fait l’objet de la présente étude — celui de la raison d’être de ce fait massif qu’a été, dans l’histoire des évolutions romanes du latin, le basculement en masse d’anciens «neutres» pluriels latins dans le «féminin» roman. Pour affronter cette question, on commencera par reformuler en termes de construction notionnelle — plutôt que de simple enregistrement du réel observé — la sémantique du genre grammatical: partout où cette catégorie existe, le genre d’un signifié nominal serait déterminé par un rapport dialectique bitensif (qui renvoie mais ne s’identifie point au «tenseur binaire radical» de Guillaume) institué entre Moi qui parle et le Non-moi dont il parle, rapport en vertu duquel les entités à nommer apparaissent au locuteur tantôt comme existant, de manière autonome, dans le monde qui se déploie au-delà du dit locuteur, tantôt, au contraire, comme n’existant que sous la dépendance, à quelque titre que ce soit, de Moi qui parle ou de toute Personne dont celui-ci se pose en prototype. Sur ces prémisses, on procédera ensuite à un réexamen du genre nominal latin, qui aboutit à substituer à la doctrine reçue des trois genres («masculin», «féminin», «neutre») une conception nouvelle, et fondée en morphologie, de la «grammaire du genre» en latin, laquelle se trouve dès lors ramenée à l’opposition d’un genre 'premier', fondateur et extensif (à deux degrés d’extension, 'limitée' — le «masculin», genre 'personnel' — ou 'franche', soit le «neutre», genre 'apersonnel') à un genre 'second', 'contre-extensif', celui de toutes entités dont le mode d’existence est une modalité quelconque de dépendance relativement à Moi ou à un vicaire de Moi — autrement dit le «féminin» des grammaires latines. On sera alors à même de montrer, dans une troisième partie, que le phénomène étudié est l’expression d’une reconfiguration du pluriel singularisant (le «pluriel interne» de Guillaume) qu’était celui du «neutre» latin au sein d’un système innové. Celui-ci, par suite de l’abolition de l’ancienne discrimination «genre personnel» vs «genre apersonnel», n’oppose plus que deux cas d’Objet — un cas général, 'dominant', d’Objet sans plus (le prétendu «masculin» roman, qui n’est en fait qu’un 'neutre' généralisé) et un cas particulier, 'résistant', d’Objet, auquel ressortissent — invariablement ou, parfois, à l’occasion, cf. esp. el mar vs la mar — toutes entités vues dépendre, d’une manière ou d’une autre (appartenance, disponibilité, lien, voire référence, etc., à la personne qui dit 'moi', ou à tout 'moi' défini par projection empathique de l’image de Moi.

Download article