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Document Details :

Title: Grec γῆ εὐρώεσσα, russe syra zemlja, vieil islandais saurr, «la terre humide»
Subtitle: Phraséologie indo-européenne et étymologie
Author(s): LE FEUVRE, Claire
Journal: Bulletin de la Société de Linguistique de Paris
Volume: 102    Issue: 1   Date: 2007   
Pages: 101-129
DOI: 10.2143/BSL.102.1.2028200

Abstract :
L’adjectif grec εὐρώεις «humide, moisi», qui s’applique dans l’épopée aux Enfers, n’est pas, comme on l’admet généralement, un dérivé de εὐρώς «moisissure». Au contraire, εὐρώς est un dérivé inverse de εὐρώεις, lequel résulte d’un allongement métrique de *εὐρόεις. Il s’agit d’un dérivé d’un neutre *(h)εῦρον «humidité, moisissure», issu de la thématisation d’un ancien neutre acrostatique en *-ṷer- / -ṷen- sur la racine *seh2- «souiller», attesté directement par le hittite sēḫur «sécrétion corporelle impure, urine», avec effet de la lex Eichner: le grec repose sur *sḗh2ṷr-o- (cf. νεῦρον «tendon, nerf» < *sneh1ṷr-o-, en face des formes athématiques skr. snāvan-, av. snāvar), et εὐρώεις n’a pas d’aspiration initiale à cause de la psilose ionienne. Un autre dérivé de ce même neutre est attesté en baltoslave et en germanique dans l’adjectif *sūra- (v.h.a. sūr, v.isl. surr, lit. sūras, sl. sŭru) «humide, aigre», qui continue un ancien adjectif thématique formé sur le degré zéro *sh2ur-ó- > *suh2r-ó-. Le germanique et le slave attestent également un ancien substantif *saura- < *séh2ṷro- «humidité» (v.isl. saurr, sl. surovŭ «cru, cruel»), qui correspond à la forme du grec à ceci près qu’elle repose sur la thématisation du thème faible *séh2ṷr-o- (avec extension analogique de -r- à tout le paradigme) alors que le grec continue le thème fort *sḗh2ṷr-o-. Ces termes germaniques et balto-slaves, jusqu’ici sans étymologie satisfaisante, sortent ainsi de leur isolement. Cette étymologie est confortée par une isoglosse phraséologique: tous ces termes entrent dans un vieux syntagme «la terre humide» (v.isl. saurr, sl. syra zemlja, gr. γῆ εὐρ̚εσσα chez Archiloque) qui est vraisemblablement hérité de l’indo-européen. Le sens ancien est conservé dans la formule épique russe syra zemlja «la terre humide», tandis que le grec présente pour sa part une évolution sémantique spécifique en réservant la formule à la terre en tant que lieu où l’on enterre les morts, d’où par extension au monde des morts dans l’usage épique. Cette correspondance formelle et phraséologique confirme qu’il faut renoncer à l’équation proposée par certains entre le slave syra zemlja et l’avestique arƏduuī sūrā anāhitā «l’humide, la puissante, l’immaculée», titulature complète d’Anāhitā, déesse des eaux, équation qui repose de toute façon sur une fausse étymologie (l’avestique sūra- «puissant» n’est pas apparenté au slave syrŭ «humide», mais correspond au sanskrit śūra- «fort», grec κύριοsigmaf; «puissant» < *kuh2ro-).

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