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Document Details : Title: Opgaen en nedergaen in het werk van Jan van Ruusbroec (aflevering IV) Author(s): MOMMAERS, Paul Journal: Ons Geestelijk Erf Volume: 71 Issue: 1 Date: maart 1997 Pages: 3-40 DOI: 10.2143/OGE.71.1.2003396 Abstract : Voici l’article qui conclut l’étude du thème de la montée / descente (opgaen / nedergaen) dans l’œuvre de Jean Ruusbroec. (Voir Ons Geestelijk Erf 69 (1995), 97-113 et 193-215; 70 (1996), 216-39). En l’occurrence, “conclure” veut dire qu’on essaie d’éclairer le paradoxe qui dès le début a orienté nos recherches. Comment Ruusbroec explique-t-il que la montée et la descente, qu’il continue à décrire comme des mouvements opposés (contrarie), constituent ensemble l’expérience d’union avec Dieu? On a procédé ici par trois étapes. En premier lieu (voir p. 4-11) on a examiné le sens de la distinction entre “être annihilé en aimant” et “être annihilé par humilité” (te nieute werden in minnen / te nieute werden in oetmoede). Il est apparu ainsi qu’en montant vers Dieu, l’homme peut en effet être gratifié de la même expérience qu’en descendant, à condition toutefois de poursuivre son mouvement ascendant jusqu’au moment où se produit le “passage” (overganc). Dans ce cas-ci, il entre dans l’ “oisiveté” / “vacuité” (ledicheit), qui accompagne l’expérience ultime de l’ “amour essentiel” (weseleke minne), du “repos foncier” (gront-raste), de la “béatitude” (salicheit). En second lieu (voir p. 11-28) on a analysé les passages où Ruusbroec explicite et explique la coïncidence de la montée et de la descente. Trois phrases-clef nous ont occupé particulièrement. La première est celle-ci: “la liberté la plus élevée et l’humilité la plus abaissée réunies en une personne” (die hooeghste vriheit ende die nederste ooetmoedegheit vergadert in eenenpersoon). Ceci nous a amené à regarder de près le sens des termes “liberté” (vriheit) et “libre” (vri). Et on a pu établir ainsi que, selon Ruusbroec, l’homme uni avec Dieu participe à la liberté divine, ce qui bien sûr l’élève au-dessus de lui-même. Mais cette liberté (vriheit) excellente n’existe que par la grâce de la libération (vri sijn) de la volonté propre, ce qui implique qu’il se trouve “abaissé en soi-même” (neder in onsselven). La deuxième phrase-clef est formulée ainsi: “la liberté et l’humilité, c’est le haut et le bas, qui sont d’égale noblesse” (vriheit endeoetmoedecheit, dat es: hoecheit ende nederheit, die sijn gelijc in edelheiden). En analysant à fond un des passages où figure cette “égale noblesse”, on a pu constater qu’en définitive la “liberté” caractérise aussi bien la montée que la descente du fait qu’elles sortent toutes les deux “d’un même fond de passivité” (ute enen gronde der doechsamheit). Enfin, la troisième phrase significative apparaît dans un passage où il est montré une fois de plus que les deux mouvements opposés conduisent finalement à la même expérience: à “un même sentir” (dat-selve bevoelen) et une même “liberté inébranlable” (onberuerleke vriheit). La pointe de ce texte est formulée ainsi: “De cette façon (par ces deux mouvements ensemble) est élevé aussi bien notre esprit que notre nature” (alsoe wert verhaven beide onse geest ende onse nature). S’ agit-il ici d’une vue “dualiste”, qui rattache la montée à l’esprit de l’homme et la descente à sa corporalité et sensibilité? En regardant de plus près le sens de naturechez Ruusbroec, on a pu déterminer que dans le passage en question “nature” indique tout l’être humain, aussi bien dans son aspect spirituel que charnel. Ce même passage clarifie d’ailleurs une question qui est apparue dès le début de cette étude (voir le premier article, p. 97-8). Si Ruusbroec présente l’union de l’homme avec Dieu comme une montée vers la “hauteur” (hoocheit), comment peut-il en même temps la considérer comme une montée / descente? Pour y voir clair, il suffit de faire deux choses. Il faut d’abord réserver, comme le fait Ruusbroec ici-même et ailleurs, l’expression “être élevé” (verhaven werden) pour le phénomène de l’union avec Dieu dans son entier: Dieu étant l’Autre, l’union avec lui “élève” l’homme. (Voir aussi la note 78). Ensuite, il s’agit de remarquer les deux précisions qui viennent compliquer ce mouvement vertical premier de l’ “élévation”. La première revient à spécifier cette ascension en montrant qu’elle se présente en fait comme une montée / descente. Pour ce qui est du simple croyant (die goede mensche), c’est l’“humilité” (oetmoedecheit) — “se courber et s’incliner en face de la haute dignité de Dieu” — qui a la priorité. Et la montée consiste ici à “élever vers Dieu son intention et son amour” (meyninghe ende minne). Pour autant que ce simple croyant ne vit pas seulement la “vie active” mais aussi la “vie intérieure”, cette montée / descente existentielle est éprouvée par surcroît comme une donnée psychique évidente. Le contemplatif s’aperçoit “intérieurement” de ces mouvements opposés se produisant aux différents niveaux de son âme. La seconde précision qui complique la présentation de l’union avec Dieu comme “élévation” concerne la vie contemplative en tant que telle. Selon Ruusbroec, le maître de l’“introversion” (inkeeren), on peut prendre conscience de cette élévation spirituelle en effectuant un mouvement “vers l’intérieur” (inweert). Or, il considère cet “intérieur” de l’âme aussi comme son “fond”, une vue qu’il partage avec d’autres contemplatifs et qui d’ailleurs ne surprend pas le lecteur commun. Ce qui, cependant, peut nous déconcerter, c’est qu’on en arrive, dans cette perspective contemplative, à une combinaison de trois directions: l’élévation est une introversion qui est une descente dans le fond de l’âme. Ainsi apparaît un espace intérieur dans lequel se produit la montée / descente du mystique: par la montée l’âme s’élève de sa propre profondeur, par la descente elle s’y enfonce. En troisième lieu (voir p. 28-36), on a vu comment c’est Jésus Christ qui constitue pour Ruusbroec le véritable foyer de la montée / descente dans tous ses aspects, mystiques et pré-mystiques: “Dieu et homme: hauteur au-dessus de tout et abaissé en-des-sous de tout” (God ende mensche: hoecheit boven al ende ghenedert onder al). Qu’en est-il donc, en fin de compte, de l’élucidation du paradoxe qui domine le thème de la montée / descente? Elle revient à montrer que les deux mouvements opposés sont “d’égale noblesse” (gelijc in edelheiden). Cette égalité apparaît de plusieurs façons. Ainsi la descente fait partie de l’“élévation” (verhaven werden) au même titre que la montée. En conséquence, c’est par chacun de ces deux mouvements contraires que l’homme est “ennobli”. Et comme, d’autre part, la montée “sort” en fait du même “fond de passivité” que la descente, elle peut conduire à la même expérience “essentielle”. Bref, la coexistence paradoxale de la montée et de la descente s’explique par leur “égale noblessé”. Toutefois, cette explication première ne tend pas à simplement effacer le paradoxe crucial. Au contraire, puisque c’est justement à ce point-ci que la question devient d’autant plus pressante de savoir pourquoi il y a deux mouvements. S’il est vrai qu’ils sont d’“égale noblesse”, l’un ou l’autre doit bien être superflu? A vrai dire, la réponse est assez simple. “De même noblesse” ne signifie pas nécessairement “équivalent”. On comprend aisément que la montée et la descente peuvent être d’égale noblesse — ayant la même propriété qui est d’“élever” l’homme — sans avoir pour autant le même poids. Et c’est, en effet, cette espèce d’inégalité dans l’égalité qui est apparue à plusieurs reprises au cours de notre recherche sous la forme de la prépondérance de la descente sur la montée. Ainsi on a vu en premier lieu que l’“humilité” (oetmoedecheit) apparaît sans cesse comme le “fondement” (fundament) nécessaire et permanent de l’union de l’homme avec Dieu, que celle-ci soit mystique ou pré-mystique. Si, dans le contexte de la “rencontre” (ontmoet) et de l’“amour” (minne), le terme n’était pas si boiteux, on pourrait sur ce point désigner la descente comme la “condition nécessaire” de l’“élévation” de l’homme et de toutes ses manières de monter. Mais la prépondérance de la profondeur et de la descente s’est manifestée particulièrement dans les passages qui évoquent l’expérience contemplative. Relevons ici les deux motifs les plus frappants, qui d’ailleurs se tiennent. Il y a, d’une part, l’image de Dieu et l’homme qui “habitent l’un dans l’autre”. Or, il apparaît que par la montée l’homme peut “se reposer et habiter en Dieu” (rustenende woenen), tandis que par la descente il laisse Dieu “se reposer et habiter” en lui. Et c’est dans le second cas seulement que le “fruit” de la vie spirituelle est “tout a fait accompli” (die vrucht al volbracht) (voir le troisième article, p. 230-1). D’autre part, il ressort de l’affirmation décisive — par la montée / descente “est élevé aussi bien notre esprit que notre nature” — que c’est seulement par la descente que l’homme entier se trouve libéré de sa “nature” par trop limitée et ainsi rendu capable de laisser Dieu “se reposer et habiter” en lui. Finalement, l’expérience de Dieu telle qu’elle est présentée par Ruusbroec à l’aide de l’image de la montée / descente, peut être rendue ainsi: pour être réelle l’union avec Dieu doit nécessairement être éprouvée par l’homme comme la transcendance de Dieu dans son immanence. |
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