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Title: Langues créoles, diachronie et procédés de reconstruction
Author(s): QUINT, Nicolas
Journal: Bulletin de la Société de Linguistique de Paris
Volume: 96    Issue: 1   Date: 2001   
Pages: 265-284
DOI: 10.2143/BSL.96.1.503745

Abstract :
Au commencement étaient deux mondes, l'Afrique et l'Europe. Puis ces deux mondes se rencontrèrent soudain, au sortir du Moyen Âge, dans le cadre de sociétés généralement esclavagistes où l'homme blanc accultura l'homme noir, où les femmes asservies engendrèrent des enfants métis qui inventèrent des langues, comme eux hybrides: les créoles.

On appelle créoles un certain nombre d'idiomes mixtes, formés à partir de plusieurs langues dont les locuteurs ont été amenés à vivre au même endroit ou à se côtoyer intensément. Les langues dites créoles, et en particulier les créoles afro-européens, ne laissent pas d'intriguer les linguistes. Surgies brusquement, en l'espace d'une ou deux générations, mi-africaines et mi-européennes, au contact de deux mondes, le mystère de leur origine se confond en tout ou partie avec celui des origines du langage.

La totalité des créoles afro-européens doivent une majorité de leur vocabulaire à une (ou plusieurs) langue européenne, appelée langue lexificatrice ou lexificateur. Ce lexificateur peut être le français, l'anglais, le néerlandais, l'espagnol ou le portugais selon les cas. Or, trop souvent, lorsque des recherches étymologiques sont effectuées sur les langues créoles, on attribue au lexificateur tous les mots créoles qui lui sont apparentés sans se poser davantage de questions. Ainsi, si le créole X a le portugais pour lexificateur, la plupart des gens affirmeront tout de go que tout mot d'aspect roman rencontré dans notre créole X provient sans nul doute du portugais. Du portugais, oui, sûrement, mais de quel portugais? Classique, contemporain? Lors de l'étude de la formation des langues créoles, on laisse souvent de côté la notion de diachronie. Mais beaucoup de créoles afroeuropéens ont déjà une histoire qui dépasse parfois le demi-millénaire
et un simple coup d'oeil dans un dictionnaire contemporain de leur langue lexificatrice ne saurait en aucun cas résumer l'histoire de leur formation.
Pour poser les bases d'une philologie créole qui se respecte, la diachronie des langues lexificatrices et des langues créoles néofor-mées (ou langues lexifiées) doit absolument être prise en compte de manière rigoureuse et systématique. Une telle approche permet alors de procéder à des analyses comparatives solides et plus fructueuses et à des reconstructions historiques plus dignes de foi, sachant qu'une collaboration entre de nombreux scientifiques est indispensable pour rendre compte de l'histoire complexe des langues et des sociétés créoles afro-européennes, situées au carrefour de deux univers culturels.

C'est ce que j'essaierai de montrer dans cette communication, à partir d'exemples tirés de mes recherches sur le cap-verdien ainsi que sur les autres créoles afro-portugais de l'Afrique de l'Ouest et du Golfe de Guinée.

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