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Title: Que faut-il entendre par «grammaticalisation» dans les langues isolantes?
Subtitle: Le cas de ná, bă, bèi, ràng ou jiào, gěi et -de3 («potentiel») en chinois mandarin contemporain: des verbes grammaticalisés qui fonctionnent encore comme des verbes
Author(s): LEMARÉCHAL, Alain , XIAO, Lin
Journal: Bulletin de la Société de Linguistique de Paris
Volume: 112    Issue: 1   Date: 2017   
Pages: 331-431
DOI: 10.2143/BSL.112.1.3271884

Abstract :
Nous soutiendrons dans cet article que, malgré divers degrés de grammaticalisation — faible pour , totale pour bèi —, (un «prendre» pouvant servir à marquer l’instrument), (un autre verbe «prendre» qui marque l’objet dans certaines situations), bèi (un «subir» marque de passif ou de complément d’agent), ràng (un «laisser») et jiào (un «dire de», tous deux marques de causatif et de passif), gĕi (un «donner» aux grammaticalisations multiples) et -de3 (un «atteindre», un «get», marque de «potentiel» ou de «complément d’évaluation» et de «degré») conservent tous en mandarin contemporain leur fonctionnement de verbes. Cet article s’inscrit, par là, en faux contre certaines conceptions de la grammaticalisation à la mode aujourd’hui qui tendent à suggérer que toutes les langues, comme guidées par la main de quelque dieu, marcheraient vers cet idéal qui serait d’avoir marques de cas et adpositions, complémenteurs, auxiliaires ou quasi-auxiliaires de passif et de causatif, etc., à la mode des langues indo-européennes du type de l’anglais ou du français. En dépit de ce qu’on a pu dire, le chinois est une langue isolante à séries verbales et à constructions à pivot. Typologie et «théories» de la grammaticalisation ne relèvent que du simple constat et ne peuvent constituer une explication des phénomènes. En revanche, le recours à des fonctions prédicatives (des f(x,...)) exprimant les propriétés d’une entité ou des relations entre entités (des x) appartenant à des ordres de calcul différents — entités concrètes vs événements vs contenus propositionnels vs univers de discours et de croyance — fait, une fois de plus, merveilles. Les marques étudiées ici étant des verbes plus ou moins grammaticalisés, nous proposons d’en expliquer le fonctionnement en termes de valence et d’opérations sur cette valence, ainsi que d’ordre des entités instanciant leurs places d’argument. Ainsi, gěi verbe plein ou marque de datif met en jeu des entités du premier ordre; nous soutiendrons que gěi, marque de bénéfactif, met déjà en jeu une entité du second ordre; quand il fonctionne comme marque de causatif ou quand il paraît commuter avec bèi ou , de «donner» il passe à un «faire arriver», qui met en jeu des univers de discours contradictoires, univers où «cela arrive» et univers où ce n’est pas le cas.



The position put forth in this article is that, despite varying degrees of grammaticalization — weak for , complete for bèi —, the verbs ('to take' a verb that functions as an instrument marker), (another 'take' verb that indicates the object in certain situations), bèi ('to undergo', which marks the passive form or agent complement), ràng and jiào (respectively 'to let' and 'to tell to do', which both mark the causative and passive forms), gĕi ('to give' with multiple grammaticalizations) et -de3 ('to reach' or 'obtain', which marks 'potential' or an 'evaluation and degree complement') all retain their verbal syntax in contemporary Mandarin: in serial verbal constructions () and pivot constructions (, as well as ràng and jiào), governing an object clause (bèi, as well as -de3), undergoing voice or diathetic alternations (causative passive and middle voice for gĕi, as well as ràng and jiào), so that it is often more helpful in glosses and literal translations to translate them as the verbs from which they originate, admittedly grammaticalized or 'bleached', but scarcely more so, on balance, than the French verbs prendre ('take') and donner ('give') when these are used as supporting verbs in fixed expressions. This article thus deliberately contradicts certain currently popular conceptions of grammaticalization which seem to suggest that all languages, guided as it were by a divine hand, progress towards an ideal that consists of case markers and adpositions, complementizers, auxiliaries or semi-auxiliaries for passives and causatives, etc., as is standard in Indo-European languages like English and French, in other words according to our standards. Such conceptions take a finalistic perspective which is teleological, one might even say theological, and altogether unscientific. The struggle against ethnocentrism, be it descriptive or theoretical, remains as relevant today as ever. Absit iniuria to the proponents of certain linguistic dogmas, Chinese is an isolating language with verbal series and pivot constructions. Linguistic typology or grammaticalization theories are statements of facts not explanations. We prefer analyses in terms of predicative functions – f(x,y) – expressing the properties of entities or the relations between entities belonging to different orders of calculus – physical objects as first order entities, states of affairs or events as 2nd order entities, propositions as 3rd order entities, and as 4th order entities utterances and universes of discourse. Gěi as a verb or a dative marker brings into play first order entities, as a benefactive marker one 2nd order entity. As a causative marker or as an equivalent of bèi or , it brings into play contradictory universes, one where 'that happens' and another where not.

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